Le carnet de Colette Braeckman
4 novembre 2013
Kinshasa se réjouit de la “blitzkrieg” à la congolaise
« C’est une blitzkrieg à la congolaise : en huit jours d’offensive,
nous avons délogé le M23 de toutes ses positions et la localité de
Mbuzi, adossée à la frontière rwandaise, vient de tomber. Hier c’était
Bunagana, dans les heures qui viennent, ce sera Chanzu…Désormais, nos
adversaires doivent soit accepter de rendre les armes, soit traverser
la frontière et choisir l’exil… »
Depuis le Nord Kivu, le général François Olenga, chef d’état major de
l’armée congolaise et proche du président Kabila, dirige
personnellement les opérations militaires et il est sur le point de
proclamer la victoire complète. Même si le M23, ce mouvement rebelle
lié au Rwanda, a, par la voix de son président Bertrand Bisimwa,
décrété la fin des hostilités, cela ne suffit visiblement pas à
l’armée congolaise. Les FARDC, qui ont cette fois le vent en poupe et
se sentent soutenus par les Casques bleus de la Monusco, entendent
bien obtenir, les armes à la main, une reddition totale de leurs
adversaires. « Il faut que soit proclamée la fin de la rébellion »
nous déclare le général Olenga « afin que le recours aux armes soit
proscrit, une fois pour toutes » L’intransigeance actuelle de l’armée
congolaise peut s’expliquer par les humiliations et les revers qui
s’étaient accumulés ces dernières années face à des rebelles
inférieurs en nombre, mais assurés de soutiens extérieurs : des
officiers félons communiquaient la position des troupes, des corrompus
détournaient les soldes ou les rations des soldats, des stocks
d’armement étaient abandonnés sur la ligne de front… Le général Olenga
explique les succès actuels par « une meilleure planification », par
une «autre gestion des hommes ».
Un peu plus explicite, le ministre congolais de l’Information Mende
Omalanga nous rappelle les divers aspects de la reprise en mains des
troupes : « il y a eu un changement de mentalités. Des officiers plus
âgés, démoralisés par trop de défaites successives, ont été remplacés
par des cadres plus jeunes, mieux formés, dotés d’un autre état
d’esprit. Des officiers dont la loyauté était douteuse (soupçonnés de
communiquer avec l’ennemi..) ont été rappelés à Kinshasa pour
participer à un séminaire… qui dure toujours. Les portables, si
faciles à écouter, ont été remplacés par des talkie walkie sécurisés…»
Ironique, le ministre précise : « auparavant, James Kabarebe (le
ministre rwandais de la Défense) pouvait appeler qui il voulait au
sein de l’armée congolaise, il connaissait tout le monde. Ce n’est
plus le cas… »
La détermination des forces onusiennes, galvanisées par le nouveau
représentant spécial, l’Allemand Martin Kobler, a également joué, de
même que les soutiens diplomatiques dont celui de Didier Reynders : «
lorsqu’il a dit qu’une « ligne rouge » était tracée et que Kinshasa ne
pouvait aller plus loin dans la voie des concessions, cela nous a
aidés… » souligne Lambert Mende. Mais pour lui, in fine, c’est
l’attitude américaine qui a été déterminante : « exerçant de fortes
pressions sur le Rwanda, l’envoyé spécial américain Russ Feingold a
dissuadé Kigali de se porter au secours de ses alliés du M23, qui se
sont retrouvés inférieurs en nombre. Aujourd’hui, minés par les
défections, ils ne sont plus que 200, au maximum… »
Si la défaite est orpheline, la victoire a donc de nombreux pères,
mais est-elle complète pour autant ?
Il serait certainement prématuré de croire que le Rwanda a
définitivement lâché ses alliés et des « réunions au sommet » se
succèdent à Kigali sur le sujet…En outre, si la presse de Kinshasa
congratule les forces armées et, majorité comme opposition, félicite
le chef de l’Etat qui participe à un sommet régional à Pretoria, à
Goma, nos interlocuteurs se montrent plus circonspects : «sur la route
menant à Rutshuru, il y a encore des incidents, un motard vient d’être
tué » nous assure un défenseur des droits de l’homme, qui ajoute » des
embuscades, des actions de guerilla sont toujours possibles… »
Chacun reconnaît aussi que le M23, le plus combatif, le plus articulé
des mouvements armés, celui qui représentait le plus grand défi pour
l’autorité de l’Etat, n’est qu’une partie du problème : une vingtaine
d’autres groupes attendent encore d’être désarmés, dont les
combattants hutus des FDLR (Forces démocratiques pour la libération du
Rwanda).
Optimiste, le ministre Mende assure qu’ils seront « la prochaine cible
» et il récuse les accusations selon lesquelles des « génocidaires
»auraient pu être enrôlés sous uniforme congolais.
Restera à gérer l’après guerre dans l’Est du pays : démobiliser les
enfants soldats, organiser le retour des déplacés et des réfugiés,
veiller à la pacification des relations tous les groupes de la
mosaïque congolaise. S’il est exact que de nombreux officiers
rwandophones ont loyalement combattu les rebelles et que certains sont
morts sur le terrain, nos interlocuteurs, à Goma, n’en redoutent pas
moins les représailles et les règlements de compte « la paix sera
aussi difficile à gérer que la guerre elle-même… »