«Une commission d’enquête parlementaire sur le Rwanda n’apporterait rien de plus que ce qui a été fait. Ce travail ne doit pas être fait qu’au niveau de la France toute seule, il doit être fait au niveau de l’ONU.»
Les élus français doivent-ils ouvrir une commission d’enquête parlementaire sur l’attitude de leur pays pendant le génocide de 1994 au Rwanda ? Après la violente polémique franco-rwandaise qui a marqué le 20e anniversaire du génocide, il y a 15 jours, la question est sur la table. A l’Assemblée nationale à Paris, la députée socialiste française Patricia Adam préside la commission de la Défense et des Forces armées.
RFI : Est-ce que la réconciliation sera possible un jour entre la France et le Rwanda ?
Patricia Adam : Je l’espère. Et tout le monde ne peut que le souhaiter. Mais c’est vrai que les propos du président Kagame sont particulièrement insultants, en plus d’être mensongers. Et ils sont de ce fait incompréhensibles, parce que la France n’a pris aucune part au génocide des Tutsis. Et au contraire, la France a présidé aux accords d’Arusha pour permettre la réinsertion des réfugiés tutsis au Rwanda. Ça, c’était avant le génocide, bien avant. Et quand on regarde aujourd’hui ce qui se passe, la France et le régime Paul Kagame étaient depuis longtemps dans un processus d’apaisement de leurs relations. Et Paul Kagame a choisi aujourd’hui de dynamiter ces efforts passés, et en Afrique, Paul Kagame s’est fâché avec l’Afrique du Sud. Les relations diplomatiques entre les deux pays sont carrément au bord de la rupture et avec beaucoup d’autres pays d’ailleurs. On sait que Paul Kagame a commandité des assassinats de proches qui s’étaient éloignés de lui, qui résidaient en Afrique du Sud. Et pourquoi les a-t-il commandités, ces assassinats ? Tout simplement parce que ces mêmes personnes l’accusaient d’avoir fomenté l’attentat qui a coûté à l’époque la vie au président Habyarimana.
Ce que disent les autorités rwandaises c’est que ce n’est pas la première fois que le président Kagame accuse l’armée française d’avoir participé au génocide et que les autorités françaises ont peut-être surréagi en annulant la visite de la Garde des Sceaux française.
« Surréagi » ? Ecoutez…La France en fait n’y est absolument pour rien. Et à mon avis, ne doit pas répondre à la provocation, parce que provocation il y a. Donc je pense que la France doit rester responsable, elle a fait un très gros travail à l’époque pour déclassifier de nombreux documents. Il y en a eu 3 500 qui ont été déclassifiés pour la question du génocide. On a déjà fait ce gros travail, qui a été fait par Paul Quilès entre autres à l’époque, et qui aujourd’hui ne ressort absolument pas dans les médias.
Ce que disent un certain nombre de chercheurs, c’est qu’en effet lors de la mission Quilès de 98, beaucoup de documents ont été déclassifiés. Mais que beaucoup d’autres sont toujours classifiés et restent couverts par la prescription légale qui peut durer cinquante ans. Est-ce que le pouvoir ne doit pas faire un nouveau geste ?
Mais, écoutez… Chaque fois on regarde la France ! Moi je voudrais que ces mêmes historiens demandent, d’autres pays – je pense aux Américains, je pense aux Britanniques, je pense à l’Ouganda, je pense peut-être aussi à la Belgique – de faire ce même travail. La France l’a fait. Aucun autre pays ne l’a fait ! Donc je pense que la meilleure des solutions serait que l’ONU se saisisse de cette question et que ce soit bien l’ONU, à partir des archives de ces différents pays, qui réalise ce travail d’historien.
Cela dit, il reste des documents classifiés. La preuve, régulièrement des chercheurs trouvent et publient de nouveaux documents inédits. En 2001, le Premier ministre Lionel Jospin a ordonné l’ouverture des archives sur la guerre d’Algérie. Est-ce que le président François Hollande ne pourrait pas faire la même chose sur le Rwanda ?
Je suis, en tant que présidente de la commission de la Défense, membre de la délégation parlementaire aux renseignements. Cette délégation parlementaire a pour mission essentielle de contrôler les services de renseignements de notre pays. Ce que je peux vous dire c’est que les quelques documents qui restent aujourd’hui classifiés, sont classifiés pour une raison. C’est qu’ils peuvent mettre en danger la vie des hommes et des femmes des services de renseignements français, par l’apparition tout simplement, de leurs noms et de leur identité, et également mettre en danger leurs familles. C’est pourquoi un certain nombre de documents, en deçà d’un certain temps, ne peuvent pas être livrés aux médias.
Donc c’est la raison pour laquelle il faut attendre quelquefois jusqu’à cinquante ans ?
Oui, bien sûr ! C’est la seule raison !
Autre question ; après la mission Quilès de 98, est-ce qu’il ne faut pas créer une commission d’enquête parlementaire en bonne et due forme ?
Mais je ne vois pas ce qu’elle apporterait de plus que ce qui a été fait, puisque les documents ont été déclassifiés ! Une commission d’enquête ne ferait pas plus que ce qu’a fait à la commission de Paul Quilès à l’époque ! Et concernant l’opération Turquoise, qui était une mission de l’ONU. En 98, on a auditionné tous les responsables militaires français qui ont eu à intervenir. Ils ont tous été auditionnés ! Absolument tous !
De nombreux chercheurs, comme la sociologue française Claudine Vidal, regrettent que la mission Quilès ait interrogé une quinzaine de personnes à huis clos et n’ait pas interrogé des hommes-clé, comme l’ancien agent français Paul Barril. Est-ce qu’une commission d’enquête ne pourrait pas éclairer toutes ces zones d’ombre ?
Mais une fois de plus, je pense que ce n’est pas à la France seule de faire ce travail ! Ce travail, il doit être fait au niveau de l’ONU, au niveau des instances internationales de l’ONU !
Depuis la mission Quilès de 98, il y a de nouveaux témoignages, comme celui du capitaine Ancel, qui a participé à l’opération Turquoise. Est-ce que vous personnellement, Madame la députée, vous n’auriez pas envie de l’entendre un jour lors des travaux d’une commission d’enquête ?
On peut le faire. On a déjà auditionné pour l’instant le ministre Védrine venu devant la Commission. C’était une audition publique ouverte à la presse que chacun peut écouter sur le site de l’Assemblée. Tous les citoyens peuvent le faire.
Donc demain vous êtes prête à écouter cet ancien officier «Turquoise », le capitaine Ancel ?
Je ne me suis pas pour l’instant posée cette question. Mais elle peut être envisagée, effectivement.
Sur cette affaire rwandaise, est-ce qu’il n’y a pas deux France ; une France qui veut savoir et une France qui bloque, au nom de l’honneur et du drapeau ?
Mais, vous reposez toujours cette même question ! La France est l’unique pays à avoir fait ce travail d’enquête et de mémoire. Est-ce que les journalistes français aussi, se posent la question de savoir pourquoi Paul Kagame a fait cette déclaration juste au moment de la commémoration ? Je pense que la vraie question est celle-là.
Source: RFI