Russell Feingold: «Un effort militaire plus poussé en RDC risque de mettre en péril les pourparlers de Kampala»
« Le président Kabila a remporté plusieurs succès militaires ces derniers jours, mais je l’encourage à faire preuve de retenue », déclare sur RFI l’envoyé spécial américain pour la région des Grands Lacs. Cette région, Russell Feingold la connaît bien. Pendant ses dix-huit années au Sénat, il a siégé à la sous-commission Afrique de la Chambre haute. Depuis le mois de juillet, cet homme de confiance de Barack Obama multiplie les tête-à-tête avec le Congolais Joseph Kabila et le Rwandais Paul Kagame. De passage à Paris, l’envoyé spécial de Washington répond sans tabou aux questions de RFI et aborde tous les problèmes, y compris celui de la démocratie à Kinshasa.
RFI: Dans l’est du Congo, depuis vendredi, la guerre a repris à l’avantage des forces armées congolaises (FARDC). Pour résoudre le problème des rebelles du M23, la solution militaire ne serait-elle pas finalement la meilleure ?
Russell Feingold: Non, ce n’est pas ma lecture des choses. La solution militaire ne répond pas aux problèmes posés par le M23 et par les quarante ou quarante-cinq autres groupes de la région. Ce qu’il nous faut, c’est un accord de paix négocié avec le M23. Le processus est en cours, dans le cadre des négociations de Kampala, il faut que ces pourparlers aboutissent bientôt, car cela pourrait mettre un terme aux affrontements, mais il faut y parvenir sans accorder d’amnistie à ceux qui ont commis des crimes graves. Donc selon moi, un effort militaire plus poussé risque de mettre en péril les pourparlers de Kampala, et par là même la possibilité de voir le M23 rendre les armes. Cela risque aussi de mettre en péril les initiatives pour la paix que soutiennent la communauté internationale et l’Union africaine. Donc oui, nous avons vu que les militaires congolais avaient remporté plusieurs succès ces derniers jours, mais nous pensons néanmoins qu’à l’heure actuelle, la retenue permettra de mieux servir le Congo et les peuples de la région.
Il y a quelques jours, vous avez rencontré le président Kabila à Kinshasa. Ne craignez-vous pas que, grisé par ses victoires, il tente de régler le problème par une grande offensive militaire ?
Je l’ai rencontré avant les derniers combats, et il n’a pas nié qu’il allait peut-être décider de la nécessité d’une initiative militaire, mais il ne m’a pas donné l’impression d’un homme qui n’était motivé que par la solution militaire. A Kampala, il a donné le feu vert à ses négociateurs pour décrocher un accord. J’ai pu voir les négociateurs congolais à l’œuvre durant cinq jours, et j’ai l’impression que le gouvernement congolais souhaite que le processus aboutisse, parce que l’option militaire n’est pas l’option qu’il préfère. Donc nous encourageons la RDC à faire montre de retenue dans la mesure du possible.
Tout récemment, vous avez aussi rencontré à Kigali le président Kagame. Si le M23 subit défaite sur défaite, ne craignez vous pas que l’armée rwandaise intervienne directement, sur le terrain, auprès du M23 ?
Ce serait une évolution très malheureuse. Le gouvernement rwandais et le président Kagame disent que le M23 n’est pas leur mouvement. Nous leur avons fait part de notre préoccupation. Nous leur avons dit que nous pensons que le M23 bénéficie de soutiens. Ils disent qu’ils sont en faveur du démantèlement du M23, c’est exactement ce que le président Kagame a dit à notre groupe d’envoyés spéciaux, et il me l’a aussi dit personnellement. Parce que c’est ce que prévoit l’accord cadre, et le Rwanda a signé cet accord cadre. En fait, lorsque les cinq envoyés spéciaux ont rencontré Paul Kagame il y a quelques jours, celui-ci a fait une déclaration forte dans laquelle il a demandé que l’accord soit finalisé le soir même. Ce n’est pas ce qui s’est produit, mais il ne fait aucun doute que l’accord réclame le démantèlement du M23, et non une implication dans une guerre qui vise à soutenir le M23. Et bien sûr nous n’encourageons pas cette dernière option qui, de plus, serait en contradiction avec les engagements du gouvernement rwandais.
Depuis un an, vous infligez des sanctions au Rwanda à cause de son aide aux rebelles du M23. Ces sanctions ont-elles un effet sur le terrain ? Le Rwanda a-t-il pris ses distances avec le M23 ?
Tout d’abord, les sanctions à ma connaissance visent surtout le M23, même si récemment les législateurs américains ont décidé de sanctions pour punir ceux qui encouragent le recrutement d’enfants soldats par le M23. C’est une affaire grave et par conséquent nous avons décidé de retirer une partie de notre aide militaire en raison des preuves dont nous disposons. J’ignore quel a été l’impact de ces sanctions. Mais je sais que les Etats-Unis n’ont pas d’autre choix que signifier que ce genre de pratique s’est bien produit. Je sais que le gouvernement a à cœur d’éviter le recrutement d’enfants soldats, nous nous sentons suffisamment à l’aise pour rappeler que ces pratiques ne peuvent pas être tolérées, même de façon indirecte. Avec le Rwanda, notre objectif est d’avoir une relation positive et continue. C’est un pays ami des Etats-Unis, nous sommes admiratifs devant les progrès enregistrés par ce pays, d’autant plus qu’il a dû traverser une énorme tragédie, il y a vingt ans à peine. Nos préoccupations quant au soutien vis-à-vis du M23 nuisent à une relation qui est par ailleurs excellente. Donc nous aimerions beaucoup travailler avec le Rwanda pour permettre aux pourparlers de Kampala d’aboutir, pour voir le M23 démantelé, et pour avoir une relation dans laquelle on n’aurait pas besoin de parler de sanctions ou de choses de ce type.
Le président Kagame affirme que la guerre ne cessera pas tant que les rebelles hutus rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) continueront de sévir dans la région avec le soutien, dit-il, des FARDC. Le président tanzanien Jakaya Kikwete propose une grande table ronde avec tout le monde, y compris les FDLR. Mais le Rwanda n’en veut absolument pas. Il dit qu’il ne peut pas discuter avec les forces du mal. Qu’en pensez-vous ?
Je comprends pourquoi le président Kagame est réticent à s’engager dans ce type de négociations, et je ne crois pas que des pourparlers entre une nation souveraine et un groupe armé, comme s’ils étaient deux parties égales, soit le meilleur moyen de résoudre ce type de problème. Les Etats-nations impliqués doivent être ceux qui prennent part aux négociations, ils doivent être à la même table, c’est-à-dire le Congo, le Rwanda et les autres pays qui sont affectés. Et au cours de ce processus, alors oui, la question des FDLR et les questions qui subsistent quant au M23 doivent être abordées, mais cela ne veut pas dire que ces groupes doivent avoir un siège à la table. Ce sont des groupes armés illégaux. Chacune de ces nations a signé un accord-cadre qui stipule que ces groupes ne doivent pas être tolérés, donc je pense qu’il y a une meilleure approche que celle qui consiste à organiser toute une série de négociations entre une nation souveraine et un groupe rebelle qui est considéré comme hostile.
Aux discussions de Kampala, le gouvernement congolais menace les chefs rebelles du M23 de poursuites judiciaires. Mais quand on négocie avec des gens en leur disant : « Dès que vous aurez signé un accord, j’essaierai de vous faire mettre en prison », est-ce qu’on ne torpille pas ces négociations ?
Le Congo a le droit de demander des comptes aux auteurs de crimes graves, et à ceux qui les ont ordonnés. On ne peut pas s’attendre à ce qu’il renonce à ce droit au motif qu’il a accepté d’entrer dans des négociations, ce n’est pas approprié. Il y a une différence avec l’amnistie accordée à ceux qui se sont rebellés, le gouvernement du Congo y est disposé, il a étudié la question d’une façon raisonnable. Mais le Congo, la communauté internationale, et très franchement les Etats-Unis ne peuvent pas soutenir un accord qui prévoit l’amnistie pour les auteurs de crimes graves. Il s’agit de ne pas répéter les erreurs du passé, et c’est ce que les Congolais disent à Kinshasa et dans le reste du pays. Accorder l’amnistie de façon répétée aux mêmes gens qui ont commis des crimes graves n’a aucun sens ! Il nous faut prendre un virage et arriver à un accord de paix raisonnable, qui garantisse la sécurité aux membres du M23 qui ont été démobilisés et désarmés, mais qui ne prévoit pas d’amnistie pour les auteurs de crimes graves.
Au Congo et au Rwanda, l’un des problèmes n’est-il pas l’absence de véritable démocratie et de respect des droits de l’homme ? Que pensez-vous de la détention de Victoire Ingabire dans une prison de Kigali et de celle de Diomi Ndongala dans une prison de Kinshasa ?
Je crois que les mécanismes démocratiques qui obligent à rendre des comptes renforcent ces pays en interne et permettent aussi à ces pays d’avoir de meilleures relations avec leurs voisins, parce que les populations peuvent manifester leur désir de paix. L’un des aspects les plus importants de mon rôle et de celui de Mary Robinson et des autres envoyés spéciaux est d’encourager le processus de réforme au Congo. Nous encourageons de façon pressante la tenue d’élections locales et provinciales au cours des deux prochaines années, nous souhaitons que la Ceni, l’agence qui est en charge de ces élections, reçoive un soutien financier transparent, nous avons hâte qu’une élection présidentielle plus crédible soit organisée en RDC en 2016, contrairement à ce que nous avons vu en 2011, alors que l’élection de 2006 s’était relativement bien passée. Et de la même manière, au Rwanda, d’autres pratiques démocratiques, qui accordent plus de place à l’expression de l’opposition et qui exigent du gouvernement qu’il rende des comptes, doivent aussi être encouragées.
Avez-vous soulevé le cas de Victoire Ingabire auprès du président Kagame et celui de Diomi Ndongala auprès du président Kabila ?
Personnellement, non. La plupart de ces sujets sont évoqués de façon bilatérale par nos ambassadeurs. Mon rôle est de traiter des cas qui relèvent des Grand Lacs, donc dans ces deux pays ce sont nos deux ambassadeurs qui traitent ce genre de choses.