Devant l’impasse de Kampala, des pressions sont actuellement exercées sur Kinshasa pour l’amener à assouplir sa position. Longtemps aphone sur le sujet, l’Union africaine vient de se faire signaler par son envoyé spécial dans les Grands Lacs. Boubacar Diarra estime que Kinshasa doit adhérer, quelle qu’en soit la nature, à un accord à Kampala pour décanter, notamment la situation de 1 700 fugitifs M23 en cabale en Ouganda. Epargnant superbement l’Ouganda, l’UA se décharge totalement sur la RDC. Une attitude confuse qui rime avec la politique de deux poids deux mesures.
L’impasse qui est née de la réunion le 11 novembre 2013 à Entebbe (Soudan) entre Kinshasa et le M23 met de plus en plus en lumière les dessous des conflits qui rongent de manière cyclique la partie Est de la RDC. De plus en plus, la face cachée de l’iceberg remonte à la surface, dévoilant le double jeu de tous les acteurs impliqués dans la mise en place des stratégies de sortie de crise dans la région des Grands Lacs.
La marque d’un complot
Le constat est que toutes les initiatives déployées dans la région pour une paix durable portent en elles-mêmes des germes de conflits. Au point où les observateurs avertis se rendent à l’évidence que tout concourt à maintenir la RDC dans un état d’affaiblissement et d’instabilité permanente. Laquelle situation la prédispose à la prédation de ses ressources naturelles avant l’exécution du plan de son éclatement pur et simple.
La communauté internationale souffle le chaud et le froid lorsqu’il s’agit d’aborder les questions sécuritaires de la région des Grands Lacs. Dans le cas d’espèce, la RDC a été poussée au sein de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL), à négocier avec la rébellion, alors que ses voisins, tels le Rwanda et l’Ouganda, sont exemptés de cette obligation vis-à-vis de leurs rébellions respectives, Il s’agit, notamment des FDLR pour Kigali et ADF-NALU pour Kampala.
Sans se faire prier, la RDC a engagé des négociations avec le M23 à Kampala et, ironie du sort, sous la médiation ougandaise. Parfois à son corps défendant, Kinshasa s’est plié aux caprices de ses voisins pourvu qu’au final il en sorte une issue pacifique à la crise qui sévit depuis des décennies dans sa partie orientale. Le couronnement de tous ces efforts, consentis au prix de privations innommables, a été la signature de l’accord-cadre d’Addis-Abeba ; accord signé sous l’égide des Nations unies et de l’Union africaine.
Curieusement, aujourd’hui, c’est ce même accord-cadre qui prévoyait des engagements aux niveaux national, régional et international que l’Ouganda viole au grand jour. Sans émouvoir personne. Pis encore, l’Union africaine, l’un des parrains de l’accord d’Addis-Abeba, ferme les yeux sur cette violation et se complait à remettre les compteurs à zéro.
Quid ? Le week-end dernier, la Commission africaine est sortie de son mutisme pour faire des déclarations qui puent le parti pris à mille lieues. La bourde a été balancée par l’envoyé spécial de la présidente de la Commission africaine dans les Grands Lacs, M. Boubacar Diarra. Selon l’Agence Chine nouvelle qui livre l’information, ce dernier a déclaré ce qui suit au cours d’une conférence de presse à Bujumbura : «Nous sommes confiants mais aussi espérons que l’accord sera conclu, quelle que soit la dénomination qu’on donnera à ce document (…) et que les obligations qui auront été conclues seront mises en application, car les 1 700 éléments du M23 ne peuvent pas rester indéfiniment en Ouganda ».
Qu’est-ce à dire ? Simplement ceci que l’UA encourage la position de l’Ouganda, concernant spécialement les 1 700 fugitifs du M23 réfugiés sur son territoire. Cela en lieu et place des reproches par rapport aux violations répétées de l’accord-cadre d’Addis-Abeba et autres dispositions pertinentes des instruments internationaux. D’abord, l’UA feint d’ignorer que le M23 est une force négative qui devait être traquée et dissoute et que, à ce titre, les 1 700 fugitifs sont des criminels accueillis comme des héros dans un pays lié par l’accord d’Addis-Abeba. Ensuite, elle menace subtilement Kinshasa. C’est quand Boubacar Diarra dit que les fugitifs du M23 « ne peuvent pas rester indéfiniment en Ouganda ».
Soit l’UA voit blanchir le M23 en le soustrayant des poursuites judiciaires, soit elle veut brandir le spectre d’une reprise de guerre – au regard du renforcement des capacités et du réarmement dont bénéficient Sultani Makenga et ses acolytes en Ouganda. Cette menace a pour objectif de faire fléchir Kinshasa dans sa position à ne pas accorder une amnistie générale au M23 qui retentirait dans l’opinion congolaise comme une trahison, sinon une prime aux aventuriers de tous bords qui s’amusent à prendre les armes contre leur pays pour tuer, violer et piller les richesses naturelles.
Une fois de plus, l’UA a fait preuve de partialité comme l’a toujours fait la CIRGL. Les deux veulent que la RDC paie pour l’insécurité que les autres installent sur son territoire. A moins qu’elle dise à l’opinion que les propos de Boubacar Diarra engagent son auteur et non l’organisation continentale.
Deux poids, deux mesures
Aux termes de l’accord-cadre d’Addis-Abeba, dont elle est d’ailleurs signataire, l’UA applique la politique de des poids deux mesures. Cet accord oblige clairement les pays de la région à « ne pas tolérer, ni fournir une assistance ou un soutien quelconque à des groupes armés aux pays de la région ». L’accord leur demande également de « ne pas héberger ni fournir une protection de quelque nature que ce soit aux personnes accusées de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, d’actes de génocide ou de crimes d’agression, ou aux personnes sous le régime de sanctions des Nations unies ; et faciliter l’administration de la justice, grâce la coopération judiciaire dans la région ».
Or, ces dispositions sont violées par le Rwanda et l’Ouganda en hébergeant des criminels en provenance de la RDC. Se préoccuper du sort des 1 700 éléments du M23 en Ouganda au détriment des millions de victimes fauchées et autres sans abris sur le territoire congolais ne peut pas auréoler l’UA.
Pourquoi s’obstine-t-on à faire de la RDC le bourreau de l’insécurité qui prévaut dans les Grands Lacs ? C’est elle que l’on pousse à faire le premier pas pour trouver solution aux nombreux problèmes de la région. Quand il faut stabiliser la région, seule la RDC est obligée de négocier avec ses rebelles cependant que ses voisins, en l’occurrence le Rwanda et l’Ouganda, sont exemptés de cette obligation que tous brandissent comme voie de sorite de crise. La RDC a beaucoup donné, il ne faut pas lui en demander plus.
Ce qui est clair aujourd’hui c’est que l’attitude de l’UA est confuse. Elle devrait être clarifiée par rapport à la charte qui crée l’organisation continentale. L’Afrique n’a que faire d’injustices !
[lePotentiel]