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Au coin du feu avec Christine Deslaurier – IWACU

Dans le Burundi traditionnel, le soir, au coin du feu, la famille réunie discutait librement. Tout le monde avait droit à la parole et chacun laissait parler son cœur. C’était l’heure des grandes et des petites histoires. Des vérités subtiles ou crues. L’occasion pour les anciens d’enseigner, l’air de rien, la sagesse ancestrale. Mais au coin du feu, les jeunes s’interrogeaient, contestaient, car tout le monde avait droit à la parole. Désormais, toutes les semaines, Iwacu renoue avec la tradition et transmettra, sans filtre, la parole longue ou lapidaire reçue au coin du feu. Cette semaine, au coin du feu, Christine Deslaurier.

Votre qualité principale ?

Mon franc-parler peut-être ? Mais je ne suis pas sûre que les personnes me connaissant retiennent cela, il faudrait leur demander.

Votre défaut principal ?

Mon franc-parler toujours… Le problème est dans le manque de diplomatie qui l’accompagne, qui peut blesser ou susciter de l’incompréhension, voire du rejet.

La qualité que vous préférez chez les autres ?

L’indulgence.

Le défaut que vous ne supportez pas chez les autres ?

La couardise et ses deux complices : la sottise et la fourberie.

La femme que vous admirez le plus ?

Il y en a beaucoup ! Ma mère et mes sœurs pour rester proche, qui sont des femmes très compréhensives et généreuses. Simone Veil aussi, pour rendre hommage à une Française disparue récemment. D’apparence austère et réservée (mon contraire), sa jeunesse gâchée et sa famille brisée dans les camps de la mort ne l’ont pas empêchée de mener ensuite de beaux combats dans un univers politique difficile, exclusivement masculin.

L’homme que vous admirez le plus ?

Nelson Mandela, sans hésitation. Je suppose qu’il n’est pas utile de rappeler le parcours tellement singulier et extraordinaire de ce prix Nobel de la Paix 1993… Mon père aussi, bien sûr, qui n’est pas un Mandela et me paraît parfois dur et compliqué, mais que j’aime avec force et constance.

Votre plus beau souvenir ?

La naissance, les jeunes années et l’actualité de mon fils : une vie qui commence, des pas qui hésitent puis s’assurent, des mots qui font puzzle et poésie, des joies saines et pleines, des rires sincères et des pleurs vite consolés. Et maintenant, un petit d’homme devenu homme, le petit de sa maman resté… mon petit.

Votre plus triste souvenir ?

Ma mémoire est des plus charitables : elle atténue ou évacue au bout d’un temps tous les chagrins, les trahisons et les laideurs humaines. Me restent des souvenirs doux, ou seulement doucereux s’ils sont nés dans la peine.

Quel serait votre plus grand malheur ?

Perdre mon fils avant de disparaître moi-même. Perdre une ou un proche, surtout jeunes.

Le plus haut fait de l’histoire burundaise ?

La fondation du royaume et la capacité à « faire société » qu’elle illustre.

La plus belle date de l’histoire burundaise ?

Au pluriel : toutes celles qui ont promu jubilation et espoir parmi les Burundais. Il y en a beaucoup. Pour n’en retenir qu’une, celle du 1er juillet 1962 qui correspond au recouvrement de l’Indépendance du pays, paraît incontournable.

La plus terrible ?

Au pluriel encore : toutes celles qui ont engendré stupeur, peur et massacres. Il y en a, hélas, trop. Sans négliger les assassinats du prince Rwagasore et du président Ndadaye en 1961 et 1993, sans oublier les hécatombes de 1972, 1988 et des années 1990 qui ont été d’immenses moments d’écroulement humain, 1965 me paraît figurer l’année-bascule des tragédies burundaises. De l’assassinat du Premier ministre Ngendandumwe en janvier au départ du mwami Mwambutsa vers l’Europe en octobre, en passant par les législatives de mai, le coup d’Etat manqué, les exécutions expéditives et les tueries d’octobre, c’est une année noire pour le Burundi. L’année de tous les éboulis politiques, sociaux et identitaires du pays.

Le métier que vous auriez aimé faire ?

J’aime les matières et les textiles. J’aurais aimé être couturière de haute volée par exemple. Et je n’ai pas abandonné l’idée de m’initier à la tapisserie en meuble, pour une reconversion à ma retraite, qui sait ?

Votre passe-temps préféré ?

Faire le moins urgent de tout ce que j’ai à faire urgemment.

Votre lieu préféré au Burundi ?

J’ai un penchant pour la province de Rutana, côté Kumoso aussi bien que côté Nkoma. C’est dans cette région que j’ai effectué mon premier long séjour au Burundi en 1990, interrogeant de vieux Burundais sur leurs années militantes durant la décolonisation.

Le pays où vous aimeriez vivre ?

J’aime le Japon où j’ai eu la chance d’aller déjà deux fois. J’irais par exemple m’installer au pied des pommiers sur l’île d’Hokkaido… Mais plus vraisemblablement je resterais dans ma région de Bordeaux : j’aime cette ville comme son environnement, ma maison et mes chats.

Le voyage que vous aimeriez faire ?

Visiter les ruines du Grand Zimbabwe dont on peine encore à connaître la civilisation qui en est à l’origine, puis poursuivre ma route à travers le Botswana jusqu’à Gaborone. Y rester un peu pour suivre les traces de Mma Ramotswe, la première femme détective africaine !

Votre rêve de bonheur ?

Il est égoïste : être une grand-mère encore suffisamment en forme pour m’occuper de mon ou mes petits-enfants souvent, les câliner, les promener et les faire rire.

Votre plat préféré ?

Les paupiettes de veau et la soupe à l’oseille façon maman.

Votre chanson préférée ?

Ne me quitte pas, de Jacques Brel, dont la poésie écorchée me transporte. Et dans un registre burundais plus dansant, j’aime beaucoup la chanson Ibiti vy’amufe de Bahaga. C’est une chanson de ma jeunesse (oui, oui, j’ai eu une jeunesse burundaise !) qui me fait immanquablement sautiller et dodeliner.

Quelle radio écoutez-vous ?

France Inter grâce au Wifi même quand je suis au Burundi, le matin et le midi. Radio France Internationale aussi, en podcast la nuit.

Avez-vous une devise ?

J’en change comme d’humeur.

Votre souvenir du 1er juin 1993 ?

J’ai reçu un appel m’annonçant « une grande surprise » au Burundi. J’ai trouvé que cela n’en était pas vraiment une, et j’étais heureuse et confiante pour l’avenir. Hélas, les mois suivants ont fait déchanter l’espérance.

Votre définition de l’indépendance ?

Je n’en ai pas une définitive. J’associe à l’indépendance le mot liberté, l’une sans l’autre n’ont pas de consistance ni même d’intérêt. L’indépendance n’est pas seulement, je pense, l’absence d’une sujétion, d’une domination ou d’une puissance de l’un sur l’autre (que l’on parle d’individus, de sociétés, d’Etats ou de systèmes), c’est aussi et surtout une manière de réciprocité : ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas qu’il te fît, donc n’impose pas ton autorité à qui ne t’a rien demandé.

Votre définition de la démocratie ?

C’est un pouvoir de tous et toutes, mais un pouvoir ô combien fragile. C’est, en particulier, le droit de prendre la parole et le devoir d’écouter celui ou celle qui la veut ou la prend, y compris de manière malhabile. L’individu et le collectif en sortent renforcés. C’est encore le droit et le devoir d’agir pour soi et les autres, pas pour soi contre les autres ou sans l’avis des autres. C’est une leçon de vivre ensemble, qui s’avère difficile à retenir et pratiquer, au quotidien comme dans les temps plus longs. L’histoire en est témoin.

Votre définition de la justice ?

Une grande dame qui joue les affranchies mais se laisse en réalité souvent berner par le premier prétendant venu… Trêve de galéjade, la justice cela devrait être l’égalité devant la loi et l’équité dans les droits, et la sanction de la société, une correction sans revanche ni vengeance.

Si vous étiez ministre de l’Enseignement supérieur, quelles seraient vos deux premières mesures ?

Je ne suis d’abord pas sûre d’accepter le poste… Ce sont beaucoup d’ennuis en perspective ! Mais si vraiment on m’y obligeait, je commencerais par poser la question ci-dessus aux enseignants et étudiants du supérieur, qui sont les premiers concernés. Puis, munie de leurs réponses, j’essaierais de réagir en conséquence. Il serait sans doute question d’inciter à plus de lectures les plus jeunes et à plus d’écriture les professeurs, de faire respecter aux uns et aux autres la ponctualité des horaires de cours, et de soutenir une politique de recherche volontariste qui permette de replacer les enseignants-chercheurs dans un espace académique de plus en plus mondialisé (où la pratique de l’anglais, à côté de celle du français, s’impose désormais).

Si vous étiez ministre des Affaires étrangères, quelles seraient vos deux premières mesures ?

Je doute encore plus d’avoir le profil de ce poste, vu le manque de tact qui me caractérise ! Malgré tout « si » j’étais cette ministre, je faciliterais sans doute l’entrée dans le pays par une politique de délivrance de visas en ligne (qui n’empêche pas les contrôles migratoires). Je tenterais également de (re)nouer le dialogue avec tous les Etats, voisins ou plus lointains, y compris ceux qui m’horripilent ou que mon pays semble irriter, pour tenter de décrisper ou renforcer des relations qui, quoi qu’on en pense ou dise, sont inéluctablement vouées à exister. Autant que ce soit dompté.

Croyez-vous à la bonté humaine ?

Je crois en l’homme, tout court. Il semble que l’éducation joue un rôle majeur pour encourager sa bonté, il arrive que la dureté de la vie l’altère, mais aussi, pire, que la vanité l’enterre.

Pensez-vous à la mort ?

Souvent, et de plus en plus. L’âge doit y être pour quelque chose, les injustices trop nombreuses aussi. Je sais que la grande faucheuse croisera le chemin de chacun et chacune d’entre nous, mais je la déteste quand elle coupe la route de la jeunesse.

Si vous comparaissez devant Dieu, que lui direz-vous ?

« C’est donc vous dont on m’a tant parlé sur terre ? Ravie de vous rencontrer, mais… Peut-on passer mon tour ? »

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