Au Rwanda, « les autorités réintègrent l’ethnie dans le discours politique »

Sabine Cessou
journaliste

Publié le 18/07/2014 à 17h25

 

Le chercheur français André Guichaoua, auteur de « Rwanda : de la guerre au génocide » (éd. La Découverte, 2010), est l’un des spécialistes français les plus pointus sur la région des Grands Lacs, qu’il sillonne depuis 1979.

 

Présent à Kigali en avril 1994, lors du génocide, il s’assure que ses livres et documents annexes soient traduits en kinyarwanda. Il a été témoin-expert auprès du Tribunal pénal international sur le Rwanda (TPIR) et fait partie de ceux qui contestent une lecture simpliste de l’histoire rwandaise.

 

Pour lui, le lien entre l’attentat contre l’avion de Juvénal Habyarimana et le début du génocide n’est pas prouvé. La mise hors de cause du Front patriotique rwandais (FPR, au pouvoir depuis 1994) dans cet attentat n’est pas non plus évidente, malgré le rapport d’enquête publié en janvier 2012 par le juge Marc Trévidic, qui situe le lieu physique des tirs de missile ayant touché l’avion au camp militaire de Kanombe, sous contrôle du pouvoir hutu de l’époque.

 

L’instruction du procès qui se déroule en France sur une plainte des familles des membres français de l’équipage de l’avion abattu touche à sa fin, mais pas les querelles qui persistent au sujet du Rwanda. Loin de là…

 

Quel est leur enjeu ? Rien moins que l’écriture de l’histoire, la légitimité de Paul Kagamé et la part d’ombre du FPR, qui a commis des crimes de guerre après le génocide sur lesquels il est très difficile de revenir. Sollicité par le TPIR pour enquêter sur ces crimes, avant la mise à l’écart en 2003 de la procureure Carla del Ponte, André Guichaoua n’est plus le bienvenu depuis dix ans au Rwanda. Entretien.

 

Que pensez-vous de la fin annoncée du procès en France autour de l’attentat perpétré contre l’avion de Juvénal Habyarimana ?

 

La seule mauvaise nouvelle à retenir, c’est que le juge reconnaît ne pas être en mesure de poursuivre quiconque. On ne connaîtra jamais les auteurs de cet attentat, sauf si le tribunal demande un renvoi sur le fond. Un éventuel non lieu n’innocentera personne, sauf si le juge le dit. Un non lieu n’innocente pas. Il signifie que les éléments dans le dossier ne sont pas suffisants.

 

Quels sont, brièvement, les antécédents de la tragédie rwandaise ?

 

La guerre enclenchée en 1990 au Rwanda par la rébellion du Front patriotique rwandais (FPR), créé par des réfugiés tutsi en Ouganda, a progressivement cristallisé le clivage ethnique et conduit à une bipolarisation du champ politique national en deux camps pro-hutu ou pro-tutsi, adossé chacun à des blocs militaires mono-ethniques.

 

Après l’attentat du 6 avril 1994 qui a causé la mort du président rwandais Juvénal Habyarimana, les noyaux extrêmistes pro-hutu nordistes, originaires ou proches du terroir présidentiel, ont procédé à l’élimination des personnalités politiques hutu et tutsi susceptibles d’assurer la continuité du processus de transition politique. Ce processus avait été défini par les accords de paix d’Arusha. Les extrémistes pro-hutu nordistes ont aussi évincé les officiers légalistes dans l’armée. La guerre entre les Forces armées rwandaises et le FPR a repris aussitôt.

 

L’installation d’un gouvernement intérimaire coopté par les militaires putschistes a accompagné l’ouverture d’un second front, une guerre dans la guerre, avec l’élimination systématique des populations civiles tutsi de l’intérieur, désignées comme complices de l’agresseur venu d’Ouganda. Le Rwanda a alors été abandonné à son sort par les grandes puissances et les Nations unies. Le génocide a duré trois mois jusqu’à ce que le FPR ait pris le contrôle de l’ensemble du pays. LIRE LA SUITE

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