Ça y est : de nouveau, la honte. Elle couvre une fois de plus le Rwanda de ces magistrats dont la spécialité est devenue le fait d’invariablement acter la volonté du patron de l’exécutif, prouvant, s’il le fallait encore, que la séparation des pouvoirs est le cadet des soucis de la dictature afande. Et demain, ils vont fièrement brandir les chiffres de je ne sais plus quelle élection encore ou de quelle représentativité féminine pour s’auto-congratuler et endormir la confiance de leurs bailleurs de fonds.
Ça y est donc, Victoire Ingabire, la présidente des Forces démocratiques unifiées passera en prison le double de la sentence qu’initialement une cour avait prévu. 15 interminables années de réclusion… C’est mieux que la perpète de Mushayidi, diront certains esprits cyniques, mais c’est, dans les deux cas, tout simplement i-na-ccep-ta-ble. Hier (lorsqu’elle disait rentrer pour lutter pacifiquement) comme aujourd’hui (à l’heure de « Ndi umunyarwanda », un nationalisme de circonstance). Le cas de cette opposante « réglé », quelle leçon en retenir en cette fin 2013 ?
Tout d’abord les interminables reports quant au prononcé. Pourquoi avoir mis si longtemps avant de rendre public l’injustice à laquelle tout le monde s’attendait? Le sort de Victoire Ingabire avait en effet été scellé le jour où quelqu’un, à la tête de l’État, a clairement dit qu’elle « heurtera un mur ». Désormais familiers des métonymies de leur dieu, les Rwandais n’ont pas eu besoin de traduction et ont vite compris la signification de ce mur…
Les plus sceptiques ont naïvement cru qu’au dernier moment une inspiration divine viendrait souffler le bons sens aux juges chargés du dossier, mais la vérité est là pour rappeler et souligner toute l’antinomie qu’il y a entre les démarches démocratiques de l’opposition rwandaise et les visées suicidaires du régime Kagame. En condamnant Ingabire à autant d’années, le régime étale donc sa peur à la face du monde : comment ce pays peut-il être dirigé par quelqu’un(e) qui n’est pas issu des rangs du Fpr ? Oui, la trouille de tous ceux qui cachent leurs consciences maculées derrière les slogans de cette organisation qui s’est substituée à l’État rwandais et qui est en train de vouloir irrationnellement supplanter le Rwanda en tant que pays…
Ingabire condamnée c’est aussi un clin d’œil au planning des rêves qu’entretient l’équipe qui entoure l’actuel président rwandais. De 8 ans, ils sont passés à 15 ans et ce n’est pas fortuit. Un simple regard sur le calendrier permettra en effet de constater qu’arrêtée en 2010, Ingabire aurait été libre en 2018, soit une année seulement après la fin politique programmée du général Kagame. A 50 ans, rien n’aurait pu alors l’empêcher de briguer un mandat dans son pays avec toute l’auréole des années de sa détention.
Les techniciens en sont conscients, eux qui envisagent déjà le scénario de leur patron rempilant pour un autre septennat (même si on évoque de plus en plus un quinquennat dans leurs cercles) après 2017. Au mieux, Kagame resterait donc jusqu’en 2022, au pire jusqu’en 2024. La peine d’Ingabire aura donc été ajustée non pas à l’aune de l’acuité de son dossier, mais bel et bien pour coïncider avec l’effacement du créateur d’Afandie sur la scène politique au Rwanda. 2025 : la plupart de ses plus farouches concurrents politiques auront été épuisés ou disparus et Kagame pourra alors sortir de son chapeau un successeur assagi qui n’aura de programme que la retraite du boss.
Ingabire écope enfin d’une lourde peine à cause de Chanzu ! On n’a en effet pas fini de découvrir l’étendue de l’impact qu’a eu le camouflet du M23 sur les décideurs de Kigali (notez par exemple leur désertion des grands rendez-vous). Alors que la RD Congo leur a toujours servi de punching-ball en même temps que de monnaie d’échange face à bien de puissances occidentales, la défaite essuyée à Chanzu par les forces spéciales des Rwanda Defence Forces a ôté une carte éminemment précieuse des mains du général Kagame.
A chaque fois qu’il envahissait ce pays, le monde entier accourait à Kigali pour négocier, qui trêve, qui intervention humanitaires, qui contrats miniers, etc. Voyant ce privilège en train de s’éloigner inexorablement, les stratèges de Kigali ont opté pour un rapatriement de leur frustration. Ainsi obligent-ils, sous des faux airs de nationalisme, les Hutu à demander pardon pour un génocide prétendument commis en leur nom. Face à un lever de bouclier quasi unanime contre ce programme, ils s’en prennent donc à Ingabire et doublent sa peine, question de voir le monde les supplier pour plus d’humanité…
Obama RukokomaC’est mon Rukokoma Faustin qui interpellait il y a quelques jours encore les élues au parlement rwandais en leur demandant ce qu’elles font pour une femme comme elles et qui est en train de se faire broyer par une machine dont elles sont des rouages consentantes. Rukokoma aurait tout simplement dû s’adresser à l’ingénieur de la machine, His excellency lui-même, mais quelqu’un d’autre s’en est chargé : Barack Obama. « There are too many leaders who claim solidarity with Madiba’s struggle for freedom, but do not tolerate dissent from their own people »disait-il en disant adieu au Sud-africain.
Des dirigeants qui, comme Kagame, vont saluer la mémoire de Mandela alors qu’ils n’ont même pas une once de sa philosophie… Au-delà donc du cas Ingabire, c’est toute la classe politique rwandaise, opposition en premier qui devrait entamer une vraie réflexion autour du thème « Doit-on poursuivre la lutte avec la même approche ? » Le sens des sacrifices actuels en dépendra largement. Car maître Ntaganda a essayé, il est au secret. Déo Mushayidi essaya, il a été réduit au silence. Faustin Kayumba tente, on lui envoie des assassins. Faustin Rukokoma s’annonce, on lui oppose un « non » mesquin. Saleh Karuranga et Bonaventure Habimana seront eux littéralement humiliés par une arrogance pseudo-nationaliste chantant « Ndi umunyarwanda ». Tous sont pourtant… rwandais. Comme l’est par ailleurs Victoire Ingabire.
Lorsqu’ils passent à l’étape dite Plan M ou « fer de lance de la nation » (Umkhonto We Sizwe), Mandela et ses camarades de lutte sont pleinement conscients de la rigidité idéologique des tenants de l’apartheid. Alors, 2014, un tournant ?
Cecil Kami (DHR)
Source: Veritasinfo