Les journaux perdent des lecteurs partout dans le monde. Le journaliste doit pouvoir comprendre la source de cette crise s’il espère avoir une chance de l’endiguer.

Par Emmanuel Brunet Bommert.

Notre époque est en proie aux doutes. La superstition conduit des gens honnêtes à repousser une vérité pour lui préférer des croyances sans fondement. Le journaliste est en première ligne face à cette réalité. Son travail étant de faire démonstration de la vérité, tout rejet de celle-ci remet son métier en question. On le remarque dans la déconnexion de plus en plus manifeste entre la profession et le public, mais aussi dans l’effondrement des ventes de quotidiens.

Les professionnels mésestiment la façon dont pensent ceux à qui ils s’adressent et peinent donc à leur faire une démonstration efficace. Dans le même temps, le public conteste les arguments qu’on lui présente. Les raisons de sa défiance varient, mais se résument comme suit.

Le public ne pardonne pas la propagande

Premièrement, les scandales sanitaires et politiques n’ont pas cessé depuis le début du XXe siècle. Les populations se souviennent que des journalistes et des médecins leur ont présenté le tabac comme étant sans danger, s’ils ne conseillaient pas d’en consommer. Elles n’ont pas pardonné la propagande qui faisait de l’amiante une matière miraculeuse. Les totalitarismes ont prospéré grâce au soutien d’experts réputés.

Bien évidemment, l’accumulation a nourri la méfiance du public envers les scientifiques et conséquemment les journalistes. On ne peut pas simplement cacher cette réalité sous le tapis en traitant ceux qui se méfient d’imbéciles. Ils ont de bonnes raisons d’être suspicieux et le scepticisme n’a rien de maléfique.

Deuxièmement, alors que le niveau d’instruction des populations ne cesse d’augmenter chaque année sur le papier, on remarque en réalité qu’il diminue dans les faits. Les gens sont de moins en moins bien éduqués.

Les connaissances en mathématique sont frappées d’un net repli. La culture scientifique est souvent déficiente, malgré les records de réussite aux examens. Le niveau en langue a régressé en France au point qu’il est désormais plus commun de rencontrer quelqu’un qui ne sait pas écrire correctement, que le contraire.

Les méthodes de la démonstration ne sont plus assimilées et sans elles, les gens n’ont pas les outils pour séparer le vrai du faux. Ils sont donc à la merci des manipulateurs.

Le formatage de la pensée à l’école

Troisièmement, notre pays se transforme chaque année davantage en société de privilèges. C’est-à-dire qu’on doit de plus en plus se « payer » l’autorisation de faire quelque chose pour en avoir le droit. Le problème se ressent dans l’éducation, où l’étudiant ne poursuit pas des études dans le but d’obtenir une instruction, mais avec pour objectif de s’acheter le privilège d’exercer un métier.

Cet effet se remarque si intensément que le simple fait que le baccalauréat soit un peu difficile est assimilé à une injustice, puisque ne pas l’avoir condamne à n’exercer que des professions considérées comme moins prestigieuses.

L’école n’enseigne plus aux méthodes, mais prépare les candidats aux examens permettant d’obtenir les privilèges dont ils auront besoin pour vivre. L’enseignantdonne à ses élèves les bonnes réponses à mémoriser, mais n’a plus le temps d’instruire aux moyens de déterminer leur exactitude par eux-mêmes.

Ceux qui sortent de ces institutions sont formatés à accepter ce qu’on leur dit, sans contestation. Les arguments d’autorité ont dès lors une efficacité maximale.

Le journaliste ne peut plus affirmer, il doit expliquer

Devant ce constat, on remarque surtout que le journalisme moderne est assez mal préparé. Le métier est plus que jamais nécessaire dans la lutte contre l’ignorance et la manipulation. On confie aux professionnels du secteur la lourde charge d’informer leur public. Seulement, ils peinent à réussir quand les populations n’ont plus les outils pour comprendre.

La stratégie du journaliste doit s’adapter à cette réalité. Il ne peut plus se contenter d’affirmer certains concepts comme des évidences, mais doit aussi justifier pourquoi ils le sont.

Une superstition est comme un parasite. Elle s’insinue dans l’esprit et se travestit en vérité. Elle ne peut pas être fausse. Celui qui est contaminé trouvera toujours d’excellentes justifications à ses contradictions. Puisque le journaliste fait des démonstrations, il lutte à son échelle contre ce genre d’afflictions. Son rôle n’est pas de « profaner le sacré », mais bien de protéger la seule chose qui mérite qu’on la considère comme telle, la vérité.

Le journaliste doit être sévère avec lui-même

Cependant, les journalistes sont tout autant touchés que leur public. Ils ont été éduqués par les mêmes institutions. Leurs proches les ont formatés dans le même genre de méfiance qu’eux. Les superstitions se sont infiltrées dans leurs esprits. Ils sont donc vulnérables et se retrouvent parfois, et souvent malgré eux, dans le camp des manipulateurs. Leurs opinions jettent la confusion entre « agir pour le bien » et « démontrer la vérité ».

Sauf que leur tâche n’est pas de rendre le monde meilleur, mais de fournir aux gens une image exacte de la réalité, afin qu’ils puissent prendre la bonne décision. C’est le public qui va agir et changer les choses.

En conséquence, les professionnels de la presse ont le devoir de réserver la plus grande part de leur sévérité pour eux-mêmes. Ils doivent s’assurer que leur maîtrise des méthodes de la démonstration est toujours optimale.

Pas un concept, même et surtout celui qu’on présente comme incontestable, n’est au-dessus d’une critique. Le meilleur intellectuel du monde peut se fourvoyer sur certains sujets ou manquer de jugement à quelques occasions. Le journaliste a la charge de relativiser l’autorité d’une réputation, y compris la sienne. Sa notoriété lui viendra de son efficacité mais ne doit jamais servir d’argument.

On s’attend de lui qu’il ne soit pas familier, parce que la familiarité encourage les réactions émotives. L’émotion est un terreau fertile pour la superstition et le but n’est pas d’en faire la culture mais de l’éradiquer. On n’utilise pas les sentiments pour créer des exemples qui parlent aux gens, comme preuves, parce qu’une émotion prendra le sens qu’un manipulateur intelligent voudra bien lui donner.

Dès lors qu’il contrôle sa propre ignorance, qu’il maîtrise ses opinions et que sa compétence linguistique lui permet de faire une démonstration que n’importe quel public comprend, sa tâche sera un succès. Le journaliste est dès lors en mesure de contrecarrer la défiance populaire et de faire enfin reculer l’ignorance.

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