Par Didier Samson
Nelson Mandela est mort ce 5 décembre 2013, à l’âge de 95 ans, à son domicile de Johannesburg des suites d’une infection pulmonaire, a annoncé le président sud-africain Jacob Zuma. Son nom était synonyme de liberté. Figure emblématique de la lutte contre l’apartheid dans son pays et icône mondiale de tous les combattants pour la liberté, l’homme a marqué son temps. On ne compte plus le nombre de places, de rues et de centres culturels qui portent à travers le monde, son nom. Il fait partie de ces rares personnalités qui, de leur vivant, ont joui de ce privilège. Chanteurs, écrivains et autres artistes avaient fait de lui le symbole vivant de toutes les luttes contre le racisme et les discriminations.
Du fond de sa prison il n’imaginait pas que son combat deviendrait celui des hommes épris de paix et liberté, même s’il avait tout fait pour que la situation des Noirs en Afrique du Sud soit connue du monde. L’internationalisation de son combat a commencé en 1962. Il avait clandestinement quitté l’Afrique du Sud pour assister à une conférence panafricaine en Ethiopie. Ce premier périple africain allait le conduire aussi en Algérie, où il a reçu une brève formation pour le combat (lutte armée).
Avant de rentrer chez lui, Mandela va rendre visite aux travaillistes anglais à Londres. La cause des Noirs sud-africains était ainsi portée sur la scène internationale. Il avait à cœur de le faire car il venait, un an plus tôt, de rompre avec la ligne non violente prônée par les fondateurs de l’ANC (African National Congress). Il avait créé et dirigé en 1961 la branche armée de l’ANC : Umkhonto we sizwe (Fer de lance de la nation).
Le massacre de Sharpeville en 1960 a conforté Nelson Mandela dans cette ligne dure du parti. Les jeunes Noirs qui protestaient contre le port du Pass (passeport intérieur) avaient essuyé un assaut des forces de l’ordre qui avait fait 79 morts et au moins 178 blessés.
Nelson Mandela en a tiré les conséquences. La dynamique Ligue de la jeunesse de l’ANC qu’il avait créée en 1942, avec Walter Sisulu et Oliver Tambo, était confrontée à ses propres limites.
Les manifestations de désobéissance civique montaient crescendo face au durcissement de la politique d’exclusion des Noirs alors que les répressions policières étaient de plus en plus violentes. La jeunesse de l’ANC avait fait remarquer aux instances du parti, que depuis l’accession au pouvoir en 1948 du Parti National Afrikaner qui institutionnalisait l’apartheid, la situation des Noirs empirait. Le mode d’action pour les revendications allait alors prendre une nouvelle orientation sous l’impulsion des jeunes de l’ANC conduits par Nelson Mandela.
Le fauteur de troubles est épris de justice
Ebranlé par les événements de Sharpeville, dont les auteurs sont restés impunis, Nelson Mandela constitue autour de lui une équipe de combat et un véritable front du refus. Mais en même temps qu’il revêt les habits du méthodique combattant qu’il sera, cette brutale évolution n’éloigne pas l’homme de ses réflexions.
Sa force de caractère et son intransigeance le conduisent logiquement à devenir un leader incontesté de l’ANC. Il avait une autorité naturelle, probablement forgée par la place et la reconnaissance dont jouissait sa famille. De parents chefs de village, il est né le 18 juillet 1918 à Mvezo au Transkei dans l’actuelle province du Cap-Oriental. A la mort de son père, alors qu’il n’a que 9 ans, c’est le régent du peuple Thembu qui le recueille pour lui assurer son évolution et son éducation.
Après le collège et le lycée, le jeune homme entre à l’université de Fort Hare, le seul établissement d’enseignement supérieur qui acceptait les Noirs sud-africains. C’est le début de l’engagement politique bâti sur la prise de conscience et la confrontation aux réalités du pays. C’est aussi le début des problèmes. Jeune étudiant en droit, son esprit libre allait s’émanciper pour rejoindre le sens profond de son premier prénom, Rolihlahla, qui signifie en langue Xhosa « fauteur des troubles ».
Mais l’un de ses enseignants méthodistes avait jugé ce prénom trop lourd à porter par le jeune et brillant étudiant ; c’est ainsi qu’il sera désormais prénommé Nelson. Toutefois Rolihlahla se rappelle au bon souvenir de Nelson. Mêlé à un comité de boycott des règlements de l’établissement il est renvoyé. De retour chez son tuteur, ce dernier lui annonce son futur mariage avec une fille qui lui est promise. Trop libre et indépendant pour subir un mariage qu’il n’a pas souhaité, il s’enfuit à Johannesburg avec un cousin au prénom tout indiqué, Justice.
Ces événements qui se succèdent, avec comme leitmotiv ce goût irrépressible pour la liberté, ont certainement motivé le choix de Nelson Mandela de devenir avocat. Objectif atteint après des études du soir à l’UINISA (University of South Africa), des cours par correspondance et un diplôme d’avocat obtenu à l’université de Witwatersand, un établissement réputé de langue anglaise qui admet les Noirs. Il fonde alors, avec son ami Oliver Tambo, le premier cabinet d’avocats noirs en Afrique du Sud.
La légende
Nelson Mandela: mort d’un géant
Mais la vie est loin d’être un long fleuve tranquille pour cet homme déterminé qui jouit, heureusement, d’une bonne constitution physique. Dès 1962, son parcours est ponctué de fréquents séjours en prison. En 1964, le pouvoir sud-africain l’enferme à nouveau derrière les barreaux. Mais cette fois, l’affaire est grave, la justice de son pays lui inflige une peine de perpétuité pour ses activités politiques clandestines.
C’est le début de la légende Mandela. L’homme au visage dur doté de pommettes saillantes de boxeur, devient le prisonnier politique le plus célèbre du monde, détenu sur l’îlot-bagne de Robben Island sous le matricule 46664.
La légende est entretenue par sa jeune épouse Winnie qui lui a donné deux filles. Nelson Mandela avait deux autres enfants, un garçon et une fille, d’un premier mariage. A Robben Island, Winnie pouvait rendre visite à son mari deux fois par an. Grâce à cette épisodique relation, des liens sont néanmoins entretenus avec le mouvement anti-apartheid.
Ces rares visites permettent également de maintenir des connexions avec l’étranger et surtout avec les mouvements révolutionnaires et de libération dans le monde. Et d’année en année, les artistes, les intellectuels prennent fait et cause pour celui qui est devenu le prisonnier politique le plus célèbre du monde.
Après plus de deux décennies d’enfermement, la pression conjointe de l’opinion publique en Afrique du Sud et le contexte international font que le pouvoir sud-africain envisage dorénavant la libération de Nelson Mandela. En décembre 1988, une libération partielle avec résidence surveillée assortie de certaines conditions lui est proposée. Mais, plus que jamais déterminé, le leader noir rejette toute idée de libération incluant des restrictions qui lui interdisent de faire de la politique.
Mandela exige une liberté totale. Il est en effet pour lui hors de question de renoncer à la politique après tant d’années de détention et de sacrifices. Son intransigeance finit par payer ; il est libéré sans condition le 11 février 1990 et il obtient en plus la réhabilitation de l’ANC qui avait été déclaré parti hors-la-loi en 1960.
Quand Nelson Mandela apparaît en homme libre, le 1er février 1990, au bras de son épouse Winnie, il est méconnaissable. Son visage ne ressemble plus à celui que tout le monde connaissait : une raie au milieu de cheveux denses surmontant un visage bien plein laissant deviner une robuste corpulence.
L’homme est usé par les 27 années passées derrière les barreaux. Mais, malgré cette fragilité, l’image de Nelson Mandela le poing levé sous les ovations de son peuple en quête de liberté, augurait déjà de la suite des événements. Bien conscient d’entrer dans l’Histoire pour être celui qui a fait libérer Nelson Mandela, le président Frederik de Klerk savait aussi à ce moment-là qu’on assistait à la fin du pouvoir blanc en Afrique du Sud.
Des choix toujours ardus
Nelson Mandela et l’ex-président sud-africain Frederik de Klerk reçoivent conjointement le prix Nobel de la paix, le 10 décembre 1993 à Oslo.
Les négociations de paix conduites par Frederik de Klerk et Nelson Mandela dans une nation retrouvée ont valu aux deux hommes le prix Nobel de la paix en 1993. Dans la suite logique des choses, Mandela et l’ANC s’imposent par les urnes en avril 1994. L’ANC remporte les élections générales avec un score de 62,65% des suffrages.
Le peuple exulte, Mandela a réalisé le rêve des Noirs et devient président de la République. Il ne trahit pas son esprit d’équité et respecte les termes des négociations en instaurant un gouvernement d’union nationale avec Frederick de Klerk comme vice-président. Il lance les jalons de la nation arc-en-ciel avant de quitter le pouvoir en 1999 pour se lancer dans de nouveaux combats à travers une fondation qui porte son nom. La fondation Nelson Mandela s’engage dans la lutte contre le sida. Depuis qu’il avait annoncé publiquement la mort de son fils aîné emporté par cette maladie, l’ancien président avait fait de ce combat le nouvel objectif de sa longue vie de militant.
Madiba, comme on l’appelle familièrement, allait entre-temps traverser une autre épreuve : se séparer en 1996 de Winnie rattrapée par des affaires obscures de meurtre et de corruption. En 1998, il épouse Graça Machel, la veuve de l’ancien président du Mozambique.
Ces dernières années, le vieux combattant s’était transformé en vieux sage adulé. Statufié de son vivant, Nelson Mandela vivait entouré de sa nombreuse descendance. Quand son état de santé le permettait, l’icône de la lutte anti-apatheid recevait la visite de tout ce que le monde compte de politiques, responsables et autres stars qui se bousculaient pour être photographiés aux côtés de ce monument du XXe siècle.