Kagame, Afandie: le temps de l’abandonnisme, Par Kami Cecil
Pour la toute première fois de sa carrière d’homme d’état, il a parlé vrai. Sans faux-fuyants. Sans les rébarbatives vociférations nationalistes auxquelles il avait habitué ceux qui l’écoutent. Et même lorsqu’il a voulu reprendre sa verve impétueuse, le faciès a trahi l’homme. Disons-le net et appelons un chat un chat : le dictateur est fatigué. On sent Kagame épuisé, complètement vidé. Mais est-ce là la raison de cette lucidité soudaine ? De cet aveu de désillusion par rapport à ses thuriféraires d’hier ? La peur que ses discours ont toujours inspiré, Kagame l’a inopinément transformée en pitié, car il était vraiment à plaindre ce soir-là. Et malgré qu’on le sait toujours en avance d’un plan B, le ton utilisé en ce jour d’octobre où il adoubait son cousin A. Makuza confirme parfaitement bien le fait que quelque chose de profond, de grave, voire d’irréversible est en train de se passer au sein du clan au pouvoir au Rwanda.
Des proches emprisonnés. Jusqu’ici, emprisonner quelqu’un au Rwanda faisait partie des « bonnes manières » du régime ; il y en a même pour décrire le pays comme une « prison à ciel ouvert » tellement le très grand nombre des maisons d’arrêt n’est connu que de l’officine en charge de la terreur, la DMI. Pour un oui ou pour un non, l’on est envoyé derrière les barreaux, avec une prédilection pour les opposants (réels ou supposés) au gouvernement Kagame. Le néologisme mabuso (du swahili « mahabusu » : prison) fait aujourd’hui partie du langage courant des Rwandais. Loin cependant d’héberger que les « ennemis » de l’Etat, les mabuso de Kagame accueillent de plus en plus de personnes du premier cercle du pouvoir afande. Que cache en effet la mise aux arrêts du colonel Tom Byabagamba et du général retraité Frank Rusagara ? Le chanteur-compositeur Kizito Mihigo est, lui, en train d’être oublié dans les geôles de ses anciens bienfaiteurs… On ne nous a pas tout dit, comme dirait l’autre…
Ce qui est manifeste c’est qu’il y a une fièvre étrange au sein des forces qui côtoient le plus le président Kagame : sa garde personnelle. Après le lieutenant Mutabazi enlevé en Ouganda et condamné à perpétuité, c’est le tour du colonel Byabagamba, un des fidèles parmi les fidèles du régime. A-t-on voulu lui faire payer la liberté d’opinion de son frère David Himbara (ex-proche de Kagame, aujourd’hui en exil) comme d’aucuns l’ont suggéré ? A-t-il été impliqué dans une tentative de coup d’état qui aurait été déjoué ? A-t-il par contre, lui-même déjoué une tentative d’assassinat contre sa personne ? L’histoire nous le dira un jour. En attendant, les augures ne peuvent être favorables pour le pays avec un ex-président sans considérations, un ex-premier ministre qui a fui, un ex-chef d’état-major en exil lui aussi, un ex-chef des renseignements étranglé et maintenant, un ex-chef de la garde rapprochée du président emprisonné… Vous avez dit fièvre ?
Des cadavres qui flottent. Pour ne rien arranger à ce tableau qui s’assombrit au jour le jour, voici que des corps viennent d’être découverts à la frontière du pays avec le Burundi. Magistrats et enquêteurs de ce dernier sont formels : ils n’ont perdu aucun compatriote dans ce drame, donc… A part quelques journalistes pressés, la propagande du régime semble n’avoir pas encore trouvé d’explication à fournir à la curiosité des média. Exactement comme pour la vague d’incendies qui a ravagé le pays il y a tout juste quelques mois. C’est à se demander si, de l’intérieur, personne (ou un groupe de personnes) n’est pas en train de saboter le big boss pour précipiter sa chute. Du temps du président Habyarimana, qui ne se souvient pas des atrocités commises à l’endroit des Bagogwe ? Au sommet de l’Etat, l’irritation était à son comble car les responsables étaient curieusement insaisissables. Ce n’est qu’aujourd’hui que les transfuges du Fpr identifient les escadrons de leur armée qui s’étaient chargés de la sale besogne… Les temps sont durs pour le général Kagame, le pouvoir est en train de lui échapper.
La duplicité des partenaires. « Ils vous caressent dans le sens du poil, vous chantent des louanges et, le lendemain, ils vous traitent en criminel ! » Voilà la phrase-choc de toute l’allocution de Kagame devant son parlement. Juste parce que la BBC a révélé au monde une supercherie vieille de vingt ans ? Non, Stephen Sackur de la même BBC avait fait quasi la même chose en 2006 ! Il y a donc forcément autre chose. Il y a le chef d’état le plus pourri (gâté) d’Afrique qui vient de découvrir que l’on s’est servi de lui, lui qui croyait détenir une créance sur le monde entier. C’est ça la déception du moment (si ce n’est l’état de santé très critique du général Jack Nziza). Du coup, le dictateur doit faire face à l’abandonnisme ; vous savez, cet état psychologique de sentiment d’insécurité lié à une peur irrationnelle d’être abandonné. Par son discours, Kagame était pratiquement en demande d’affection pour combler cette séparation traumatisante d’avec un Occident qu’il sent s’éloigner de lui.
A quelque chose malheur est bon, dit-on. Ce désarroi présidentiel que tout le monde avait prédit (cfr antécédents Mobutu, Mengistu, Kadaffi, Savimbi, etc.) peut, si l’intéressé va au bout de sa réflexion, être salutaire pour tout le pays. « Continuer à servir les intérêts étrangers porte, disait Kagame, des conséquences sur le pays dont l’appauvrissement et la zizanie entre nationaux ». Il est donc temps que lui-même prêche par l’exemple en arrêtant de traiter ses concitoyens comme les sujets d’une féodalité qui leur est étrangère. Ils t’ont déroulé le tapis rouge, mais là, ils s’apprêtent à te « noriegiser[1] ». Jette donc par-dessus l’enclos le bâton qui a servi à frapper ta rivale…
Cecil Kami
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[1] Du nom de ce général panaméen (Manuel A. Noriega) que la CIA avait placé à la tête de son pays et qui fut renversé comme un vulgaire bandit.