Le président rwandais Paul Kagame, le 30 novembre 2012.
Au Rwanda, il y a eu de nombreuses réactions après les propos tenus jeudi 5 juin 2014 par le président Paul Kagame. Devant les habitants du district de Nyabihu, dans le nord-ouest du pays, le chef de l’Etat s’est dit prêt à continuer d’arrêter et même à tuer en plein jour ceux qui menaceraient la sécurité du pays. Paul Kagame a aussi appelé la population à dénoncer ceux qui, parmi eux, chercheraient à déstabiliser le pays.
Les propos du chef de l’Etat rwandais font suite à l’inquiétude formulée par le département d’Etat américain. Washington s’était dit très préoccupé par la vague d’arrestations et de disparitions au Rwanda depuis deux mois et avait appelé Kigali à respecter les procédures judiciaires inhérentes à un état de droit.
Parmi les partis politiques en exil qui sont accusés de chercher à déstabiliser le Rwanda, et notamment d’être derrière des attaques à la grenade, il y a le Congrès national rwandais (RNC) dont l’un des dirigeants Patrick Karegeya avait été retrouvé assassiné le 1er janvier 2014. A l’époque, l’Afrique du Sud avait accusé des diplomates rwandais d’être mêlés à cet assassinat. Jean-Paul Turayishimye, le porte-parole du RNC s’avoue perturbé : « C’est vraiment perturbant et décevant de voir un président s’exprimer de cette manière devant une population qu’il est censée protéger. Si ce discours n’est pas en soi une atteinte à la sécurité de l’Etat, qu’est-ce qu’il est vraiment ? Mais en fait, pour le président Kagame, n’importe quoi peut être une atteinte à la sécurité de l’Etat. Il suffit de regarder les procès en cours au Rwanda. Vous voyez des gens comme le chanteur Kizito Mihigo essentiellement à cause d’une chanson qui parlait d’une vraie réconciliation. Tous ceux qui sont suspectés d’être liés à l’opposition sont accusés d’atteinte à la sécurité de l’Etat. »
« On peut prendre aussi l’exemple de Joël Mutabazi, continue Jean-Paul Turayishimye, lui aussi est accusé alors qu’il vivait sous la protection du HCR [Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés] en Ouganda. Il y a tellement de gens, y compris des étudiants. Mais les promesses qu’il fait, il ne faut pas les prendre à la légère. Le 31 janvier, l’un de nos membres fondateur, l’ancien chef des renseignements Patrick Karegeya a été assassiné en Afrique du Sud et le président lui-même a plus ou moins revendiqué ce meurtre devant les membres d’une congrégation. Ce discours a juste pour objectif d’intimider les gens. Il cherche juste à protéger son pouvoir et à rester à la tête de l’Etat pour toujours. »
Florent Geel est le responsable Afrique de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH). Il estime qu’il y a une escalade de la violence, y compris, verbale de la part des autorités :
« Ces propos sont inacceptables. Il est évident que tout Etat a le droit à garantir sa sécurité. Et pour autant, ce sont des incitations à la délation, au meurtre, une invitation aussi aux exécutions sommaires et arbitraires. Un Etat doit pouvoir assurer sa sécurité dans le respect des règles et du droit national et de ses engagements internationaux. On sent une montée en puissance et une escalade de propos violents. On pense aussi aux attaques que subissent les défenseurs des droits de l’homme au Rwanda. Une audience prochaine de la justice doit statuer sur une organisation membre de la FIDH au Rwanda, la Liprodhor [Ligue rwandaise pour la promotion et la défense des droits de l’homme]. Ces attaques contre des journalistes nationaux et internationaux, les assassinats en Afrique du Sud d’opposants politiques que l’on attribue au régime rwandais. Et aujourd’hui on sent une crispation et on sent une intensification des attaques à l’égard de toute voix indépendante ou de l’opposition au Rwanda. On ne peut pas justifier l’instabilité du pays à n’importe quel prix. »
Source: rfi.fr
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